Chaque jour, nous utilisons les chiffres 1 à 9 sans même y penser. Mais peu savent qu’ils ne sont pas vraiment arabes, malgré leur nom usuel.

Ce paradoxe linguistique et historique mérite qu’on s’y penche sérieusement. Car derrière ces symboles, se cache une transmission fascinante entre civilisations.
D’où viennent vraiment les chiffres arabes ? Une origine indienne méconnue
Les chiffres que nous utilisons aujourd’hui dans le monde entier sont appelés chiffres arabes. Pourtant, leur origine réelle se trouve à des milliers de kilomètres du monde arabe : en Inde.
Dès le IIIe siècle de notre ère, des savants indiens avaient développé un système numérique révolutionnaire. Contrairement aux chiffres romains, leur système reposait sur une écriture positionnelle, c’est-à-dire que la valeur d’un chiffre dépendait de sa position dans le nombre.
Ce concept a permis l’introduction du zéro, une innovation capitale dans l’histoire des mathématiques.
Ce système, appelé aujourd’hui le système décimal indien, utilisait dix symboles pour représenter les nombres de 0 à 9. C’est cette base que nous utilisons encore aujourd’hui dans la quasi-totalité des pays du monde.
Les savants indiens, comme Aryabhata ou Brahmagupta, ont posé les fondations de cette numération. Ils ont non seulement inventé le zéro (sunya), mais ont aussi théorisé son usage dans les calculs, ce qui a radicalement changé la manière de faire des mathématiques.
Chez Marc Tissier, on s’est un peu renseigné sur le sujet, et cette origine indienne est confirmée dans tous les travaux historiques sérieux. Pourtant, cette histoire est encore trop peu connue du grand public.
Comment les chiffres indiens sont devenus « arabes » en Europe
Le rôle des savants arabes dans la transmission de ces chiffres vers l’Europe fut déterminant. Ils ont repris le système indien, l’ont adapté, traduit, enrichi, puis diffusé dans tout le monde islamique, avant qu’il n’atteigne l’Occident.
Ce transfert culturel s’est fait en plusieurs étapes, notamment grâce à des échanges scientifiques et commerciaux entre l’Inde, la Perse et le monde arabe.
Voici comment cela s’est déroulé :
- Les savants arabes ont découvert les chiffres indiens via des textes mathématiques traduits du sanskrit vers l’arabe, dès le VIIIe siècle.
- Le mathématicien perse Al-Khwarizmi a été l’un des premiers à systématiser leur usage dans ses ouvrages, notamment dans son traité sur le calcul indien.
- Ces chiffres ont ensuite circulé jusqu’en Espagne, alors sous domination musulmane, où ils ont été étudiés dans des centres de savoir comme Tolède ou Cordoue.
C’est ainsi que, plusieurs siècles plus tard, ces chiffres sont arrivés en Europe. Ils ont été introduits par des érudits européens comme Gerbert d’Aurillac (futur pape Sylvestre II) ou Fibonacci, qui a voyagé en Afrique du Nord et découvert ce système.
Le mot « arabe » a donc été associé à ces chiffres non pas à cause de leur origine, mais parce qu’ils ont été introduits en Europe par le biais de la culture et du savoir arabe.
Ce qu’il faut retenir - Les chiffres dits arabes viennent d’Inde, mais ont été transmis à l’Europe grâce aux savants du monde arabe.
Pourquoi les Européens les ont appelés « chiffres arabes » ?
Lorsque les Européens découvrent ces symboles, ils les associent spontanément à la culture qui les leur a transmis : la culture arabe.
Au Moyen Âge, l’Europe est encore marquée par l’usage des chiffres romains, peu pratiques pour les calculs. L’arrivée des « nouveaux chiffres » par le biais des textes arabes, traduits en latin, crée une rupture.
Les Européens ne connaissaient pas les sources indiennes de ces chiffres. Tout ce qu’ils voyaient, c’était que les manuscrits qui circulaient venaient du monde arabo-musulman.
Dans son célèbre ouvrage « Liber Abaci », publié en 1202, le mathématicien italien Fibonacci appelle ces symboles les chiffres arabes, car il les avait découverts en Afrique du Nord, au contact des marchands arabes.
Il est important de comprendre que ce nom n’a jamais été une tentative de tromperie. Il reflétait simplement le canal de transmission historique. Mais avec le temps, l’appellation est restée, créant une confusion durable.
Aujourd’hui encore, dans les manuels scolaires et les logiciels informatiques, on parle de chiffres arabes pour désigner les chiffres 0 à 9. Pourtant, leur racine indienne est bien documentée et reconnue par les historiens.
Quelle est la différence entre chiffres arabes et chiffres arabes orientaux ?
Autre source de confusion : il existe en réalité deux types de chiffres arabes.
Ce que nous appelons en Europe les chiffres arabes (1, 2, 3, 4, etc.) sont en réalité les chiffres arabes occidentaux. Ils sont utilisés dans tout l’Occident, mais aussi dans la plupart des pays du monde.
En revanche, dans de nombreuses régions du Moyen-Orient, on utilise une autre forme : les chiffres arabes orientaux. Ces symboles sont très différents visuellement.
Voici quelques différences clés :
- Le chiffre 2 s’écrit « ٢ » en arabe oriental, alors qu’il ressemble à notre 2 en occidental.
- Le chiffre 5 oriental (« ٥ ») ressemble à notre 0.
- Le chiffre 0 oriental (« ٠ ») est un simple cercle, proche du nôtre.
Ces deux typographies coexistent, même si leur usage dépend du contexte linguistique.
Dans un article de la BBC consacré à ce sujet, on peut voir les deux types de chiffres côte à côte pour mieux comprendre la distinction. Voir l'article de la BBC
Pourquoi cette dualité ? Parce que le monde arabe a lui-même adapté les chiffres indiens à ses propres besoins et styles d’écriture. Ces adaptations ont évolué différemment selon les régions (Maghreb vs Moyen-Orient).
Aujourd’hui, dans les pays du Golfe, les chiffres arabes orientaux sont encore très utilisés dans les documents officiels, les plaques d'immatriculation ou les publicités, tandis que les chiffres occidentaux sont dominants dans le commerce international.
Ce qu’il faut retenir - Il existe deux versions des chiffres arabes : occidentaux (les nôtres) et orientaux (utilisés dans le monde arabe).
Pourquoi cette confusion persiste encore aujourd’hui ?
La confusion autour des chiffres arabes s’explique par plusieurs facteurs culturels et historiques.
D’abord, le terme chiffres arabes est profondément ancré dans notre vocabulaire. Il est enseigné dès l’école primaire, utilisé dans les logiciels, les polices de caractères, les claviers numériques.
Changer ce terme exigerait un effort collectif considérable.
Ensuite, peu de gens remettent en question les noms des choses qu’ils utilisent quotidiennement. Le lien entre objet et origine est souvent flou, surtout lorsqu’il s’agit d’outils mathématiques.
Enfin, cette appellation reflète une époque où les échanges entre cultures n’étaient pas documentés aussi précisément qu’aujourd’hui. Le rôle des savants arabes était si central dans la transmission des savoirs que l’Europe leur a naturellement attribué la paternité de ces chiffres.
Chez Marc Tissier, on a un peu enquêté sur cette perpétuation de l’erreur, et ce que l’on observe, c’est un mélange d’habitude linguistique, d’éducation standardisée et de méconnaissance historique.
Même dans les débats récents sur l’éducation ou les programmes scolaires, rares sont ceux qui évoquent l’origine indienne de ces chiffres. C’est pourtant une belle occasion de valoriser la contribution des sciences indiennes à l’histoire universelle.
Connaître la vraie origine des chiffres que nous utilisons tous les jours permet de mieux comprendre la richesse des échanges interculturels qui ont façonné notre monde moderne.