
Si la Suisse règne sur l’horlogerie contemporaine, le cœur battant de cette science se trouvait autrefois au Royaume-Uni. Des côtes brumeuses du Yorkshire aux ateliers animés de Londres, l’histoire des montres britanniques est un mélange captivant de prouesses techniques, de drames industriels et d’esprits visionnaires.
Du génial John Harrison au style irrévérencieux des marques des années 80, cette épopée éclaire une culture horlogère pleine de paradoxes. Une histoire oubliée chez nous, et pourtant terriblement moderne dans ses leçons. Retour sur un passé glorieux et un futur déjà en marche.
John Harrison et la conquête révolutionnaire du temps en mer
Au XVIIIe siècle, la navigation maritime présente un défi insoluble : comment déterminer précisément sa position en mer sans erreur de longitude ? Les conséquences de ces incertitudes sont tragiques, comme le naufrage de 1707 où plus de 2 000 hommes périssent sur les rochers des îles Scilly.
John Harrison, charpentier autodidacte devenu horloger, s’empare de ce problème. Grâce à ses essais successifs — H1, H2, puis un H3 perfectionné pendant plus de 19 ans — il parvient à créer le H4, une montre marine d’une précision inégalée pour l’époque.
Portable et stable malgré les mouvements du navire, elle devance de plus d’un siècle les technologies horlogères contemporaines.
Ce chef-d'œuvre incite à l’émergence d’autres pionniers britanniques, comme Thomas Mudge, inventeur de l’échappement à ancre, toujours utilisé aujourd’hui. Londres devient ainsi au XIXe siècle le centre névralgique de l’horlogerie mondiale, un peu comme la Genève d’aujourd’hui.
L’âge d’or décliné : quand la révolution industrielle passe à côté
Alors que la Suisse et les États-Unis s’industrialisent à grande vitesse, les horlogers britanniques restent fidèles à leurs méthodes artisanales. Cette fidélité au travail individuel est certes émouvante, mais aussi fatale sur le marché global.
La fabrication en série, bientôt adoptée ailleurs, permet de répondre à une demande croissante et de baisser les coûts. Pendant ce temps, la production horlogère britannique chute. La devise “Made in England”, synonyme d’excellence, perd peu à peu sa force.
Un sursaut survient en 1905 à Londres, avec la fondation de la société Wilsdorf & Davis, future Rolex. Si ses montres sont assemblées à partir de mouvements suisses dès l’origine, l’entreprise incarne une vision nouvelle : celle d’un branding horloger fort.
En 1908, Rolex naît à Londres avant de s’exiler à Genève une décennie plus tard.
Entre génie et oubli : l’histoire méconnue des automatiques britanniques
Parmi les héros oubliés de l’horlogerie, le nom de John Harwood mérite une reconnaissance immense. Originaire de l’île de Man, il est l’inventeur, en 1924, de la première montre à remontage automatique, inspirée… d’un jeu d’enfants sur une balançoire.
Son système ingénieux évite toute ouverture manuelle, protégeant ainsi le mouvement de l’humidité et de la poussière. Fabriquée en partenariat avec Fortis en Suisse, la montre Harwood précède largement les automatiques modernes.
Mais la crise de 1929 met fin à l’aventure, et son mérite est vite éclipsé par Rolex, qui adopte et améliore son concept.
Récemment redécouvert lors d’un projet philatélique sur les horlogers mannois, le portrait de John Harwood reste rare, mais son legs mécanique est immense.
Renaissance culturelle : l’expression britannique qui traverse les siècles
La fin du XXe siècle voit s’éteindre la fabrication horlogère made in Britain, balayée par la vague du quartz japonais. Mais quelque chose subsiste : l’humour, l’esprit et le style.
Des marques britanniques comme Accurist et Sekonda deviennent les gardiennes d’une identité horlogère culturelle.
Les campagnes loufoques d’Accurist — notamment avec John Cleese dans les années 70 — et l’autodérision de Sekonda marquent les esprits. À travers des pubs efficaces et des montres accessibles, ces marques font revivre le lien émotionnel entre les Britanniques et leur montre-bracelet, bien au-delà du simple mécanisme.
Ce souffle trouve un nouvel écho aujourd’hui avec la montée des micro-marques comme Bremont, Christopher Ward ou Studio Underd0g. Design audacieux, récits ancrés dans l’histoire, esprit décalé : le style horloger britannique redevient une signature.
Un peu comme Lip ou Michel Herbelin en France, ces maisons trouvent leur voie entre héritage et modernité, entre performance suisse et singularité hexagonale.
📝 Cet article est inspiré de la publication originale : The Complete History of British Watchmaking